Émeutes à l'anglaise

Publié le par Sandra

    D'abord, même si ça vient un peu tard pour rassurer les diverses personnes qui se sont inquiétées de nous, les émeutes ont été assez "modérées" à Bristol et se sont limitées à un peu de casse dans le centre lundi, sans commune mesure avec Londres ou d'autres villes d'Angleterre, ce qui fait que si nous n'étions pas branchés à internet en permanence, nous n'aurions pas su qu'il se passait quoi que ce soit de spécial.

    Ensuite, et en essayant de ne pas trop tirer de conclusions parce que ça m'énerverait de dire sur le sujet plus de conneries que d'habitude, quelques trucs qui frappent, d'un point de vue français, ou en tout cas du mien, et qui n'ont pas vraiment été relevés par la presse française, à ma connaissance. Le parallèle réflexe et absolu avec les émeutes de 2005 dans les banlieues s'est apparemment révélé bien trop tentant. Que voulez-vous, le métier de rédac' chef, c'est d'identifier le bon panneau, pas de réfléchir pour ne pas tomber dedans ("Allez coco, il me faut tes 30 000 signes dans une demi-heure, si on fait dans la finesse, on bouclera jamais !")*. Il va de soi que tout ce qui suit est mon avis et que je ne prétends pas détenir toutes les informations, à prendre avec quelques pincettes, tout de même.

    Donc, un peu en vrac, des choses qui sautent au cerveau et des différences entre les émeutes anglaises de la semaine dernière et les épisodes banlieues à la tricolore :

- beaucoup de pillages, d'attaques contre les commerces, grandes chaînes capitalistes méchantes bien assurées ou petit buraliste-marchand de journaux-confiserie du coin tenu par le voisin d'à côté qui tire le diable par la queue. Pas d'attaque contre des bâtiments publics et pas de geste clair contre l'État à part dans les affrontements avec la police. En France, c'était plutôt les institutions à drapeau tricolore relevant de l'action étatique (ou perçues comme telles) qui avaient fait les frais. Je me souviens d'une école maternelle du Val de Marne qui avait été incendiée, par exemple. Là, plutôt un phénomène de débordement collectif de revanche dans la sur-consommation, on pille ce qu'on aurait acheté autrement ou rêvé d'acheter (téléphone portable, baskets, électronique, alcool, cigarettes, etc.)

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                                                                                                                       Photo : Tim Hales/AP

- une différence majeure qui peut expliquer ça (ou pas), en France on relègue les pauvres et les étrangers à la périphérie en banlieue, en Angleterre, les banlieues sont si ce n'est opulentes, du moins gentiment cossues ou y aspirant (pensez haie de tuyas, 4X4 garé devant la maison et doubles rideaux à fleu-fleurs aux fenêtres). Les pauvres sont en (relatif) centre-ville, à proximité donc des commerces et centres commerciaux. En France, si un magasin d'ordinateurs portables dernier cri avait eu l'idée de s'installer au milieu de la cité des 4000 à la Courneuve, il aurait peut-être été pillé.

- beaucoup d'incendie de bâtiments, y compris d'habitation. Des membres de la communauté même des émeutiers sont touchés directement, ils perdent leur commerce ou leur logement avec toutes leurs affaires.

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                                                                                   Photograph: Peter Macdiarmid/Getty Images

- autre différence majeure, le bilan : cinq morts.

- quelque chose qu'on ne voit pas en France, les membres de chaque "communauté" (ici, le sens est beaucoup plus fort et l'emploi du mot infiniment plus justifié qu'en France, où il est agité comme un épouvantail, à tort ou à raison, d'ailleurs) qui s'organisent pour défendre leurs commerces eux-mêmes (Turcs à Londres, furieux de se sentir abandonnés par la police qui d'après eux laisse faire les pilleurs-casseurs, ou Pakistanais à Birmingham. C'est alors qu'ils participaient à une veille devant les commerces de leur quartier que les trois morts de Birmingham ont été renversés par une voiture qui aurait transporté des émeutiers).

- la communication entre émeutiers et apparemment l'organisation de pillages ciblés grâce aux messages sur BlackBerry, difficiles à intercepter par la police.

- enfin, même si la liste est extensible à plaisir, la réaction du gouvernement : il critique la police (se mettant à dos un électorat pourtant a priori assez sympathisant) et maintient les coupes budgétaires drastiques qui verront les effectifs policiers réduire significativement. À comparer avec le désormais traditionnel "Nous soutenons les forces de l'ordre qui font un travail extraordinaire sur le terrain et nous allons leur donner plus de moyens/plus de tasers/plus de flash balls/plus de policiers de proximité**" qui sévit en France dès qu'il se passe quoi que ce soit. Les Tories veulent vraiment faire des économies et ici, ils n'ont pas peur de montrer qu'ils se contrefoutent de la détérioration que cela implique pour les services publics.

    Ce qui nous amène à l'autre partie de ce post déjà bien long, les réactions qui ne sentent pas très bon. Mon sentiment est que les Anglais (curieusement, alors que s'y trouvent quelques-uns des quartiers les plus pauvres du pays, l'Écosse et le Pays de Galles ont été totalement épargnés) ont eu très peur, qu'ils n'ont rien compris à ce qui se passait et qu'ils sont passés en mode guerre. Malgré les gesticulations des Travaillistes qui sentent le pur automatisme d'adhésion à la ligne du parti et sont assez décrédibilisées (Pensez "Mais non, les pauvres, ils sont pauvres et noirs*** et tout le monde les traite pas gentiment, il ne faut pas trop leur en vouloir"), la réaction est assez au "écrasez-les, ils méritent tout ce qui leur arrivera".

    Les réactions, donc :

- les émeutiers et particulièrement les pilleurs sont considérés comme hors la société et comme un danger pour elle, ils sont "feral" (= non domestiqués, sauvages), "rats", ou "scum" (= racaille, ordure, râclure). Certains de ces mots étaient particulièrement présents sur des T-shirts de Londoniens sortis dans la rue au lendemain des émeutes pour nettoyer devant chez eux).

- on autorise l'usage des canons à eau et des balles en plastique en Angleterre métropolitaine ce qui est une première hautement symbolique (méthodes utilisées en Ulster)

- on demande que toutes les aides sociales soient retirées aux émeutiers. Pour certains, ça veut dire devoir mendier pour se nourrir. Pas métaphoriquement, vraiment, comme à Calcutta.

- on demande que les émeutiers et leur famille (mamie, parents et frères et sœurs mineurs, le cas échéant) soient expulsés de leur maison si c'est un logement social. Des procédures ont déjà été entamées et vus les loyers dans le secteur privé, ça revient à mettre les gens à la rue. Junior se lâche comme un crétin sur un magasin de chaussures, toute la famille vit façon Calcutta.

- un historien et homme de télévision a déclaré dans un talk show de la BBC que "le problème, c'est que les blancs sont devenus noirs".

    Ambiance...


 

* Ceci était une annonce du service tapez sur les journalistes, ça leur apprendra à écouter aux portes.

** Non, je déconne.

*** Parallèlement à ça, lesdits Travaillistes et gens de gauche ne cessent de répéter — et il semblerait qu'ils aient raison — qu'il ne s'agit pas d'un phénomène "racial" et que les pilleurs étaient de toutes les couleurs/ethnicités/je ne sais jamais comment dire.

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