Land of paradox

Publié le par Sandra

    Il est assez logique que, le temps passant depuis notre installation au bon royaume de Sa Majesté, les sujets d'étonnement et les exotismes britanniques se fassent plus rares à mes yeux et les articles de ce blog aussi, par conséquent. Je me britannicise : l'autre jour, en réponse à notre voisin qui me demandait si j'avais suivi les compétitions du jour des Commonwealth Games, j'ai répondu que nous n'avions pas la télévision et le mot qui m'est venu pour le dire est "telly", puis il m'a fait remarquer que quelqu'un avait oublié son "brolly" dans l'entrée de l'immeuble et j'ai eu chaud au cœur en pensant que malgré la prévalence du langage des séries américaines, tout était pour le mieux dans un monde où il y avaient encore des gens qui disaient "knickers" et non "panties" pour "culotte".

    Et pourtant, sur le sujet brûlant en ce moment des diverses restrictions budgétaires décidées par la coalition Tories/Libéraux Démocrates (dite "ConDem government") et plus généralement de l'imposition et de la redistribution des richesses, malgré tout, je ne peux m'empêcher de m'étonner. Un peu en vrac et avec le goût de l'exemple extrême et de l'hyperbole rhétorique qui me caractérisent : l'énergie et l'eau coûtent cher, il n'y a pas de tarif social et peu de monde trouve choquant qu'une famille se retrouve sans courant et donc parfois sans chauffage parce qu'elle n'a plus les moyens de racheter une carte d'électricité* mais les diverses aides sociales (child and house benefits et jobseeker allowance) sont conçues d'une manière qui permet aux femmes seules avec enfants** de (sur)vivre alors même que les enfants sont en âge scolaire et qu'elles n'ont aucun handicap les empêchant de travailler.

    Si vous êtes une femme, que vous avez des enfants et que vous touchez lesdites aides sociales, c'est normal parce que vous devez élever vos enfants*** ; si vous êtes un homme et que vous touchez des aides sociales, vous êtes soit un parasite de la société soit un anormal (vous élevez vos enfants, attention, vous êtes peut-être pédophile).

    À en croire le Daily Mail†, les femmes seules qui vivent des allocations avec leurs enfants sont des parasites qui pondent de futurs délinquants uniquement "pour les allocs" mais les modes de garde d'enfants sont inexistants ou hors de prix et personne (même en dehors du lectorat du Daily Mail, je veux dire) ne fait le lien.

    Si vous êtes propriétaire d'un logement, vous n'avez pas droit à réduction d'impôts locaux (Council tax, à titre d'exemple, la nôtre est de 1400 £ cette année) même si votre revenu est misérable mais tous les retraités avaient encore récemment droit à une aide de plusieurs centaines de livres pour payer leur chauffage l'hiver, même s'ils étaient millionnaires.

    Je pourrais sans doute continuer longtemps mais pour finir en beauté : les licenciements dans la fonction publique et assimilé se comptent en centaines de milliers, toutes les aides sociales vont être plafonnées ou supprimées, les frais de scolarité à l'université vont sans doute pouvoir aller jusqu'à 7000 £ par an et pourtant, ce qui choque beaucoup et dont on parle dans la presse de gauche (caviar, visiblement††), c'est la suppression des allocations familiales aux ménages dont le revenu brut est de  45 000 £ par an ou plus****. Une mère au foyer a récemment écrit un article dans le Guardian où la pauvre femme explique qu'elle a dû faire des économies en diminuant le budget cadeau d'anniversaire aux petits camarades de ses enfants, en diminuant sa consommation de vin et en allant faire ses courses chez Sainsbury's uniquement les jours où leurs livraisons sont gratuites†††. Bien sûr, elle s'est fait laminer dans les commentaires et un journaliste du Guardian a été obligé de venir à sa rescousse pour dire que non, vraiment, 45 000 £, c'est pas tant que ça en fait.

    Passé le moment d'énervement sur le mode "la pauvre petite fille riche ne peut plus se payer son litron quotidien de Chablis acheté chez Fauchon, bou-hou-hou", j'en arrive à plusieurs conclusions.

1) Les journalistes, ici ou là-bas, ne savent pas écrire : ces plus de 45 000 £ par an sont dans les dix pour cent les plus riches de la population et pourtant la presse se réfère à eux comme à la sacro-sainte "middle class" qu'il ne faut pas effrayer. Middle, comme dans au milieu mais très à droite, vous voulez dire.

2) Les conservateurs tapent sur les pauvres et les Lib Dem essaient de prouver qu'ils ne sont pas des social-traîtres en, oh non, pas en taxant les riches quand même, juste en arrêtant de leur donner de l'argent. Bref, business as usual.

3) Les Britanniques ne sont décidément pas comme les Français : eux ont le cœur et le portefeuille à droite.

 

 

* Dans bien des cas, les logements pauvres sont équipés d'un compteur électrique qui ne peut être activé que par une carte prépayée, un peu à la manière des cartes de téléphone. Pas de sous pour payer la carte, pas de courant. Il va sans dire que cela permet aux fournisseurs d'électricité d'éviter de fournir de l'énergie à des gens qui seront peut-être incapables de payer. Les mauvaises langues ajouteront que personne n'aime rentrer chez soi le soir en disant "Chérie, aujourd'hui j'ai coupé l'électricité à trois gosses élevés par leur grand-mère édentée, qu'est-ce qu'on mange ?" et qu'il est d'infiniment meilleur goût de pouvoir ignorer la situation tout en martelant que ces pauvres, vraiment, devraient avoir au moins un certain sens de l'économie.

** Oui, on n'arrête pas de parler des "nouveaux pères" qui choisissent d'élever leurs enfants et c'est vrai que c'est marrant de délirer deux minutes, mais bon, faut pas déconner, on sait ce qu'il en est.

*** Ne me lancez pas sur le fait que mêmes les féministes de ce pays n'osent pas vraiment dire que les enfants de femmes qui travaillent ne sont pas rachitiques, émotionnellement handicapés, avec un QI inférieur et l'impression que leur mère les hait et que donc, si avez des enfants et travaillez en même temps, vous n'êtes pas, repeat, pas une mère indigne mais seulement une femme, c'est-à-dire un homme comme les autres.

† Pas de lien, vous me prenez pour qui ?

†† Note lexicologique : l'expression anglaise correspondant à "gauche caviar" est "champagne socialists".

**** Le revenu salarié brut médian était de 21 320 £ en 2009. Chiffres .

††† Sainsbury's est l'équivalent de Monoprix pour les prix et la famille en question a deux voitures.

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